L’arrêt Santen et la notion de deuxième application thérapeutique en matière de certificats complémentaires de protection (CCP) : une interprétation stricte du règlement européen

 
October 28, 2020

Dans notre article publié sur ce blog le 10 juillet 2019, nous vous indiquions que la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) allait devoir prochainement se prononcer sur la notion de deuxième application thérapeutique en matière de CCP. C’est chose faite.

La CJUE opère un revirement brutal de sa jurisprudence « Neurim » qui, s’il a le mérite de la clarté et permettra d’uniformiser les pratiques dans les Etats membres de l’UE, remettra aussi en cause l’exploitation de nombreux CCP délivrés sur la base de cette jurisprudence antérieure ainsi que les modèles économiques construits sur la réutilisation de médicaments connus.

Pour mémoire :

  • les CCP prolongent la durée de protection conférée par les brevets aux nouveaux médicaments, pour compenser (au moins en partie) le temps nécessaire à l’obtention de leur autorisation de mise sur le marché (AMM) ; en effet, les essais cliniques devant être effectués avant l’obtention d’une AMM retardent le lancement d’un nouveau médicament, ce qui réduit d’autant la durée effective du monopole conféré par le brevet ;
  • l’obtention d’un CCP est soumise à quatre conditions cumulatives : (a) le produit doit être protégé par un brevet de base en vigueur ; (b) le produit, en tant que médicament, doit avoir obtenu une AMM en cours de validité ; (c) le produit ne doit pas avoir déjà fait l’objet d’un CCP et (d) l’AMM mentionnée au (b) doit être la première AMM du produit en tant que médicament ;
  • la jurisprudence de la CJUE a varié sur l’interprétation de la condition (d), notamment l’arrêt « Neurim » de 2012 avait décidé qu’une nouvelle application thérapeutique d’un principe actif connu pouvait faire l’objet d’un CCP sur la base de la (deuxième) AMM correspondante, même si ce produit avait déjà fait l’objet d’une (première) AMM pour une première application thérapeutique. L’arrêt « Abraxis » de 2019 avait quant à lui énoncé que la jurisprudence « Neurim » ne pouvait pas s’appliquer à une formulation nouvelle d’un produit, celle-ci ne constituant pas une nouvelle application thérapeutique.

Dans la cadre de l’affaire « Santen », la CJUE était saisie d’une question préjudicielle afin de clarifier l’interprétation de la condition (d), qu’elle a reformulée ainsi : « une AMM peut[-elle] être considérée comme la première AMM, au sens de [l’article 3d) du règlement n° 469/2009], lorsque celle-ci porte sur une nouvelle application thérapeutique d’un principe actif qui a déjà fait l’objet d’une AMM pour une autre application thérapeutique » ?

L’enjeu était important dans le contexte de l’évolution de la recherche pharmaceutique vers le « drug repurposing » (une tendance que l’on voit notamment dans le cadre actuel de la lutte contre la Covid-19).

Le 9 juillet 2020, la CJUE a répondu par la négative, en adoptant une interprétation stricte du règlement européen sur les CCP.

Tout d’abord, la CJUE a estimé nécessaire de préciser la notion de « produit » et a adopté une définition stricte :

  • le « produit » doit s’entendre du principe actif (ou de la combinaison de principes actifs) d’un médicament, sans qu’il y ait lieu d’en limiter la portée à une seule des applications thérapeutiques auxquelles un tel principe actif (ou une telle combinaison de principes actifs) peut donner lieu ;
  • donc le fait qu’un principe actif (ou une combinaison de principes actifs) soit utilisé aux fins d’une nouvelle application thérapeutique ne lui confère pas la qualité de produit distinct, dès lors que le même principe actif (ou la combinaison de principes actifs) a déjà été utilisé aux fins d’une autre application thérapeutique connue.

Ensuite, la CJUE a examiné si une AMM délivrée pour une nouvelle application thérapeutique d’un principe actif déjà autorisé peut être considérée comme « la première AMM délivrée pour ce produit en tant que médicament, dans le cas où cette AMM est la première AMM à relever du champ de protection du brevet de base invoqué à l’appui de la demande de CCP » :

  • la CJUE considère qu’il n’y a pas lieu de prendre en compte le champ de protection du brevet de base ;
  • elle considère également que l’objectif du législateur était de favoriser non pas toute recherche pharmaceutique donnant lieu à la délivrance d’un brevet et à la commercialisation d’un nouveau médicament, mais de favoriser la recherche qui conduit à la première mise sur le marché d’un principe actif (ou d’une combinaison de principes actifs) en tant que médicament ;
  • elle en conclut qu’une AMM pour une application thérapeutique d’un produit ne saurait être considérée comme la première AMM de ce produit en tant que médicament (condition (d)) lorsqu’une autre AMM a déjà été délivrée pour une application thérapeutique différente du même produit.

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