Le Parquet national financier publie de nouvelles lignes directrices

 
February 02, 2023

Il y a cinq ans, la France a promulgué sa loi anti-corruption, dite loi Sapin II.1 Cette loi a introduit des innovations importantes, y compris la possibilité pour les entreprises de se voir proposer et de négocier une convention judiciaire d’intérêt public (« CJIP »). Le 26 juin 2019, le Parquet national financier (« PNF ») et l’Agence française anticorruption (« AFA ») ont publié les premières lignes directrices sur la mise en œuvre de la CJIP (« Premières lignes directrices ») qui énoncent les conditions requises pour bénéficier d’une CJIP.

Le PNF a acquis une grande expérience depuis la publication des Premières lignes directrices, puisque 12 CJIP ont été proposées aux entreprises et validées par les tribunaux depuis lors. Le 16 janvier 2023, le PNF a publié de nouvelles lignes directrices (« Nouvelles lignes directrices ») dont l'objectif est d'assurer « la transparence et la prévisibilité ».2 La bonne nouvelle pour les entreprises est que ces dernières offrent davantage de protections aux entreprises et à leurs conseils qui s'engagent dans des discussions avec le PNF. La mauvaise nouvelle est qu'elles imposent également des amendes plus importantes aux entreprises. Cependant, les Nouvelles lignes directrices précisent les facteurs minorants pris en compte lors du calcul de l’amende dont les entreprises peuvent bénéficier en coopérant de manière proactive, en révélant spontanément des faits incriminants au parquet, en partageant les conclusions des enquêtes internes et en mettant en place des programmes de conformité solides. Il est évident que ces Nouvelles lignes directrices s'inspirent des pratiques du ministère américain de la justice (Department of Justice)3 et du Serious Fraud Office britannique.

Pour aider les lecteurs à comprendre les Nouvelles lignes directrices, nous fournissons un aperçu des points clés et de leurs impacts sur les entreprises.

Discussions avec le PNF

Les Nouvelles lignes directrices encouragent les entreprises et les avocats de la personne morale à « se rapprocher du PNF », à avoir « des pourparlers informels » avec lui et à lui faire connaître « le souhait de bénéficier » d'une CJIP.

Le PNF est allé plus loin que les Premières lignes directrices en donnant l'assurance que les échanges oraux seront sous le sceau de la confidentialité et de la foi du palais, même si aucun accord transactionnel n'est finalement conclu. Le PNF envoie un message clair, encourageant les entreprises et leurs avocats à spontanément révéler les actes incriminants.

Les assurances supplémentaires fournies suggèrent que les informations sensibles divulguées au cours des négociations sont moins susceptibles d'être utilisées contre les entreprises puisque les discussions resteront confidentielles. Les Nouvelles lignes directrices précisent que les pièces remises par l'entreprise au PNF pendant les négociations, telles que les courriels, documents comptables, présentations et notes d’avocats, ne seront, sauf accord de la personne morale, pas versées dans la procédure.4

Le procureur de la République financier a clairement indiqué qu'il souhaitait qu'il y ait « une confiance réciproque pendant le processus de négociation. »5

Principe de bonne foi 

Les Nouvelles lignes directrices expliquent qu’« une coopération de bonne foi de la personne morale est requise » pour pouvoir bénéficier d'une CJIP.6 Les personnes morales feront preuve de bonne foi si elles :

  • Révèlent spontanément des faits au parquet dans un « délai raisonnable ». Ce délai est apprécié au regard du temps écoulé entre la connaissance des faits par l’entreprise et sa révélation au PNF ;
  • Divulguent des informations dont le PNF n'avait pas connaissance auparavant ;
  • Mènent une enquête interne qui « révèle la vérité », identifie les personnes impliquées dans les actes répréhensibles présumés, identifient les dysfonctionnements du système de conformité qui ont favorisé la commission des infractions et y remédient ;
  • Conservent les preuves ;
  • Coordonnent avec les autorités avant de procéder aux entretiens avec les personnes physiques potentiellement impliquées dans les actes répréhensibles ;
  • Remettent au PNF le rapport d'enquête interne ou communiquent son contenu détaillé ;
  • Mettent en œuvre spontanément des modifications du programme de conformité pour s'assurer que les défaillances sont corrigées et que des mécanismes adéquats sont en place pour mitiger les risques identifiés ;
  • Envisagent de remplacer l’équipe dirigeante ;
  • Prennent des mesures pour indemniser les victimes.

Calcul des sanctions financières

Dans les Premières lignes directrices, l'amende pouvant être imposée à une entreprise était plafonnée à 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois dernières années. Le PNF calculait les amendes comme un multiple des bénéfices retirés par la personne morale de l’exécution du contrat affecté par les faits incriminants et ce multiple était déterminé par un certain nombre de facteurs aggravants et atténuants. Toutefois, les Premières lignes directrices restaient muettes sur l’impact de chaque facteur aggravant et atténuant.

Les Nouvelles lignes directrices visent à accroître la transparence en fournissant des informations supplémentaires sur la méthodologie utilisée par le PNF pour évaluer les sanctions financières. Les Nouvelles lignes directrices vont plus loin que les Premières lignes directrices à deux égards :

  • Le PNF a déclaré qu'il chercherait à appliquer le plafond de 30 % au chiffre d'affaires des comptes consolidés du groupe.7 En pratique, cela exposerait les filiales des grandes entreprises multinationales à des amendes substantielles. Il reste à voir si les tribunaux français accepteront la nouvelle interprétation de la loi par le PNF.
  • Le PNF fournit des informations supplémentaires sur l'impact spécifique des facteurs aggravants et atténuants sur l'amende effectivement infligée.
    • Les 7 facteurs suivants seront des facteurs minorants :
      • La révélation spontanée de l'acte répréhensible : cela pourrait entraîner une réduction de 50 % de l'amende ; 
      • L'indemnisation préalable des victimes : cela pourrait entraîner une réduction de 40 % de l'amende ;
      • La coopération active de l'entreprise : cela pourrait entraîner une réduction de 30 % de l'amende ;
      • Une enquête interne menée par l'entreprise ; des mesures correctives prises par l'entreprise ; la reconnaissance non-équivoque des faits par l’entreprise : chacun de ces facteurs pourrait entraîner une réduction de 20 % de l'amende ;
      • Disposer d'un système d’alerte interne efficace : cela pourrait entraîner une réduction de 10 % de l'amende.
    • Les 9 facteurs suivants seront des facteurs majorants :
      • Des actes répréhensibles répétés ; le trouble grave à l'ordre public : chacun de ces facteurs pourrait entraîner une augmentation de 50 % de l'amende ;
      • Toute forme d’obstruction à l’enquête ; la création d’outils par l'entreprise pour dissimuler les actes répréhensibles ; l'implication d’un agent public : chacun de ces facteurs pourrait entraîner une augmentation de 30 % de l'amende ;
      • Si l'entreprise est une entreprise de grande taille ; s'il y a des insuffisances du programme de conformité de l'entreprise ; un historique judiciaire, fiscal ou régulatoire ; l’utilisation des ressources de la personne morale pour dissimuler les actes répréhensibles : chacun de ces facteurs pourrait entraîner une augmentation de 20 % de l'amende.

Il sera important pour les entreprises d'identifier soigneusement et de peser ces facteurs lors de la prise de décision de s’auto-dénoncer. Les Nouvelles lignes directrices indiquent très clairement que les entreprises qui font preuve de bonne foi et sont proactives dans l’identification et la divulgation des faits repréhensibles et qui prennent des mesures correctives nécessaires bénéficieront de réductions substantielles lors du calcul de l’amende.

La reconnaissance des faits répréhensibles

Le PNF indique clairement dans ses Nouvelles lignes directrices que lorsqu'une entreprise « conteste systématiquement » les faits, cela peut être interprété comme un manque de volonté de bénéficier d'une CJIP qui, à son tour, est « susceptible de conduire le PNF à renoncer au recours à la CJIP. »8 L’utilisation de ce langage par le PNF ne tient pas compte à long terme de l'impact pour les entreprises de la reconnaissance des faits que le PNF peut exiger, en particulier l'impact sur les litiges en cours, les futures class actions et les relations commerciales. L’entreprise et ses conseillers juridiques devront donc évaluer dans quelle mesure ils doivent contester certains faits. Les entreprises devront démontrer au PNF qu'elles souhaitent bénéficier d'une CJIP tout en protégeant leurs intérêts commerciaux à long terme.

L’accès au dossier

Les Nouvelles lignes directrices indiquent clairement que le PNF appréciera au cas par cas si tout ou une partie des documents du dossier de la procédure seront mis à la disposition des avocats de la personne morale. Pour prendre sa décision, le PNF prendra en compte le risque de porter atteinte à l’efficacité des investigations.

Si l'accès au dossier est accordé, la personne morale ou ses avocats bénéficieront d’un droit de copie. Il s'agit d'une évolution importante, car elle permettra à une personne morale et à ses avocats d'avoir potentiellement accès au dossier beaucoup plus tôt que ce n'est le cas actuellement, ce qui permettrait aux personnes morales de prendre connaissance des manquements qui leurs sont imputés et des peines auxquelles elles peuvent être exposées.

Si la CJIP est négociée au stade de l'instruction, les parties mises en examen ou sous le statut de témoin assisté auront accès au dossier9 et auront un droit de copie.

La communication

Les Nouvelles lignes directrices indiquent que « dans les jours qui précèdent » l’audience lors de laquelle la validation de la CJIP aura lieu, le PNF rendra public la date de l’audience et l’identité de l'entreprise qui s'est vu offrir une CJIP. Il est donc probable que la presse s'intéresse davantage à l'audience de validation qu'auparavant. Il sera donc important pour une entreprise et ses avocats d'avoir développé un plan de communication efficace avant que toute CJIP ne soit finalisée et validée.

Coûts de l'AFA

Le PNF a indiqué qu'il s'attend à ce que les entreprises couvrent les coûts encourus par l'AFA pour le temps passé par ses experts à évaluer le programme de conformité de l'entreprise.10 Il s'agit d'un nouveau développement qui pourrait entraîner des coûts substantiels pour les entreprises. Il est donc conseillé aux entreprises de mettre en place des programmes de conformité complets et adéquats et d'investir pour remédier à tout manquement identifié au cours du processus de négociation de la CJIP.

Coordination avec les autorités de poursuites étrangères

Les Nouvelles lignes directrices réitèrent que le PNF coordonnera sa réponse pénale avec les autorités de poursuites étrangères, qu'il veillera à ce qu'il y ait une conclusion simultanée d’accords « cohérents » et la mise en œuvre d’un seul programme de mise en conformité sous le contrôle de l'AFA.11

Dans les Nouvelles lignes directrices, le PNF confirme que des efforts seront faits pour s'assurer que les entreprises ne soient pas poursuivies deux fois pour les mêmes faits (respect du principe ne bis in idem). Si une CJIP est conclue et que le PNF est saisi d’une demande d'entraide pénale internationale visant des faits inclus dans la CJIP, le PNF peut conditionner l’exécution des demandes à l’engagement de l’autorité étrangère de ne pas diligenter de nouvelles poursuites à l’endroit de la personne morale sur les mêmes faits.

Conclusion

Bien qu'elles ne soient pas juridiquement contraignantes, les Nouvelles lignes directrices apportent une clarté pour les entreprises souhaitant mettre un terme à une enquête en concluant une CJIP. De surcroît, les Nouvelles lignes directrices indiquent clairement qu'une approche passive sera sanctionnée et que les entreprises souhaitant échapper à une potentielle condamnation doivent mettre en œuvre des enquêtes internes approfondies, révéler elles-mêmes les faits incriminants et coopérer avec les autorités.

Le PNF a également cherché à accroître la transparence et la prévisibilité avec ses Nouvelles lignes directrices et à rassurer les entreprises et leurs avocats pour accroitre leur confiance lors du processus de négociation des CJIP.

Les Nouvelles lignes directrices coïncident de manière significative avec les directives émises par le ministère américain de la justice (Department of Justice) et le Serious Fraud Office britannique, ce qui atteste une nouvelle fois de la volonté de la France de rejoindre les États-Unis et le Royaume-Uni dans la lutte contre la corruption. Les autorités françaises précisent que la France a développé et continuera à développer ses capacités en matière de lutte contre la corruption et qu'elle continuera à appliquer activement la loi Sapin II.

Dans ce contexte de durcissement juridique, les entreprises doivent se préparer à une surveillance accrue.

Références

1) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, in force as of 1st June 2017.
2) Observations faites par le procureur de la République financier, M. Bohnert, le 16 janvier 2023.
3) Pour de plus amples informations sur les développements aux États-Unis, veuillez lire « More Cooperation Please : Le DOJ révise sa politique d'application de la loi aux entreprises pour encourager une coopération encore plus grande »
4) p.11 des Nouvelles lignes directrices.
5) Observations faites par le procureur de la République financier, M. Bohnert, le 16 janvier 2023.
6) p.9 des Nouvelles lignes directrices.
7) p.13 des Nouvelles lignes directrices.
8) p.12 des Nouvelles lignes directrices.
9) Article 114 du Code de Procédure Pénale et p. 12 des Nouvelles lignes directrices.
10) p.19 des Nouvelles lignes directrices.
11) p.5 des Nouvelles lignes directrices.

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