Sélection de jurisprudence - France / Premier semestre 2021
Cette newsletter présente cinq décisions de jurisprudence rendues au cours des derniers mois.
- Rupture conventionnelle – PSE (Cass. soc., 6 janvier 2021, n°19-18.549)
Un salarié et son employeur concluent une convention de rupture individuelle. Deux mois plus tard, l’employeur présente au comité d’entreprise un plan de sauvegarde de l’emploi prévoyant des licenciements pour motif économique.
Le salarié saisit la juridiction prud’homale, avançant que la convention de rupture individuelle était viciée pour cause de dol, l’employeur ayant eu connaissance au moment de sa signature de l’imminence du plan de sauvegarde. Le salarié aurait alors pu bénéficier d’indemnités de départ plus élevées.
La cour d’appel donne raison au salarié et déclare la rupture conventionnelle individuelle nulle, affirmant qu’au vu des éléments de faits de l’affaire, l’employeur savait que le poste du salarié serait supprimé dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi en cours de préparation.
La Cour de cassation valide ce raisonnement. Cette dissimulation ayant été déterminante pour obtenir le consentement du salarié à une rupture conventionnelle de son contrat, cette dernière doit être déclarée nulle.
Cette décision apporte des précisions utiles quant à l’articulation entre rupture conventionnelle et licenciements économiques, ainsi que l’impact des vices du consentement sur la validité de la rupture.
- Salarié protégé – Licenciement (Cass. soc., 3 mars 2021, n°19-20.290)
Un employeur informe verbalement un salarié de sa mise à pied conservatoire. Le lendemain, à 10h13, le salarié est désigné représentant de section syndicale par un syndicat et son employeur poste à 18h20 une lettre de convocation à un entretien préalable à son licenciement. Le salarié est licencié pour faute grave deux semaines plus tard.
Le salarié conteste son licenciement, arguant que la procédure de licenciement des salariés protégés n’a pas été respectée par l’employeur.
Les juges du fond donnent raison au salarié. Ils retiennent que la désignation en tant que représentant de section syndicale ayant été envoyée par télécopie, l’employeur avait bien connaissance de cette dernière lorsqu’il a engagé la procédure. Il devait alors suivre la procédure de licenciement des salariés protégés.
La Cour de cassation approuve cette décision, précisant bien que la mise à pied conservatoire est sans effet sur le bénéfice par le salarié du régime de la protection des salariés protégés.
Cet arrêt démontre la sévérité dont fait preuve la Cour de cassation dans l’application du régime de protection des salariés protégés, et la nécessité de bien préparer la procédure de licenciement dans ce type de situation.
- Transfert d’entreprise – Identité de l’entité économique (Cass. soc., 24 mars 2021, n°19-12.208)
Une salariée travaille au sein d’un magasin de bricolage se trouvant dans un centre commercial. Un hypermarché dans le même centre commercial décide d’acquérir ce magasin. Les contrats de travail sont repris par l’hypermarché en application de l’article L. 1224-1 du Code du travail.
La salariée refuse le transfert de son contrat de travail. L’hypermarché prononce alors son licenciement pour faute grave, licenciement que la salariée conteste.
Les juges d’appel et la Cour de cassation donnent raison à la salariée, relevant que l’entité économique autonome constituée par l’ancien magasin de bricolage avait perdu son identité à l’occasion de la cession. En effet, à la suite à l’acquisition du magasin de bricolage, l’hypermarché avait vendu les stocks acquis et avait imposé aux salariés une permutabilité avec les autres salariés de l’hypermarché, certains se retrouvant par exemple au rayon charcuterie et non au rayon bricolage. Les contrats de travail n’étaient donc pas transférés et le nouvel employeur n’était en droit de licencier les salariés qui refusaient leur transfert.
Cette décision démontre l’effet de la dilution dans l’organisation du cessionnaire et par voie de conséquence l’importance du maintien de l’identité de l’entité économique autonome après son acquisition, pour que soit opéré un transfert automatique des contrats de travail.
- Congés payés (Cass. soc., 5 mai 2021, n°20-14.390)
Un employeur insère dans ses contrats de travail une clause qui force ses salariés à prendre des jours de congé en dehors de la période légale et sur des périodes inférieures à 12 jours consécutifs. Cela constitue un fractionnement des jours de congés, ouvrant droit à des congés supplémentaires. Néanmoins, dans cette clause, les salariés renoncent par avance à ces jours de congés supplémentaires.
Des salariés saisissent la juridiction prud’homale afin d’obtenir le paiement de dommages-intérêts pour privation de leurs droits à congés. La Cour de cassation approuve la cour d’appel qui précise que ce droit à congés supplémentaires est acquis du fait du fractionnement, que ce soit l’employeur ou le salarié qui en ait pris l’initiative. En conséquence, l’employeur ne pouvait pas faire renoncer ses salariés au bénéfice de ces congés supplémentaires par le biais d’une clause dans le contrat de travail, le fractionnement n’ayant pas encore eu lieu et les droits à congés supplémentaires n’étant pas encore nés.
Ainsi, la renonciation aux jours de congés supplémentaires pour fractionnement est possible, outre le cas où elle est prévue par accord collectif, uniquement si elle est convenue avec le salarié après que soit né son droit à congé supplémentaire.
- Confidentialité – communication syndicale (Tribunal Judiciaire de Paris, 1er juin 2021, n°21/54080)
Dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire, un employeur transmet aux délégués syndicaux certaines informations. A l’issue de cette négociation, l’un des délégués syndicaux diffuse aux salariés de la société un tract, notamment sous format numérique, sur lequel est reproduit un tableau contenant les rémunérations minimales, moyennes, médianes et maximales par coefficient, au sein de l’entreprise.
L’employeur, considérant que ce tract viole l’obligation de confidentialité à laquelle sont tenus les délégués syndicaux, saisit le Tribunal judicaire de Paris pour faire cesser la diffusion de cette information sur tout support.
Le Tribunal rejette la demande de l’employeur. En effet, il distingue d’une part les informations qui sont obtenues lors du fonctionnement du CSE, qui sont effectivement protégées par l’obligation de confidentialité, des informations obtenues en dehors de ce fonctionnement du CSE, qui ne le sont pas.
En l’espèce, le délégué syndical s’était vu communiquer ce tableau à l’occasion d’une réunion de négociation annuelle obligatoire, donc en dehors du fonctionnement du CSE. Le tableau n’était donc pas couvert par l’obligation de confidentialité.
La juridiction apporte en outre deux précisions qui peuvent surprendre. L’employeur avançait l’argument selon lequel il fallait encadrer la diffusion de l’information en restreignant le choix du support de diffusion de cette information sensible. Il soutenait qu’une communication sur un support numérique permettait que ce tableau soit facilement communiqué à des personnes extérieures à l’entreprise, et que cela facilitait l’atteinte aux intérêts de l’entreprise. Le Tribunal rejette cet argument, précisant que l’employeur ne démontrait pas en quoi un support dématérialisé favoriserait une communication à des personnes extérieures. Le tribunal retient en outre qu’il n’était pas démontré en quoi la diffusion de ce document pouvait nuire aux intérêts de l’entreprise.