Hygiène, sécurité et conditions de travail / Premier semestre 2020
Cette newsletter revient sur cinq décisions notables du dernier semestre en la matière.
Harcèlement moral : l’enquête de l’employeur est valable même si toutes les victimes n’ont pas été entendues (Cass., Soc., 8 janvier 2020, n°18-20.151)
Un salarié est licencié pour faute grave en raison du harcèlement moral auquel il se livre envers tous ses collaborateurs. Pour justifier sa décision, l’employeur s’appuie sur une enquête interne.
Le salarié conteste son licenciement. Il avance que cette enquête interne ne peut constituer une preuve valable et doit être écartée car seule la moitié de ses collaborateurs a été interrogée.
Les premiers juges accueillent favorablement cet argument et jugent le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Selon eux, les exigences d’exhaustivité et d’impartialité imposeraient à l’employeur se prévalant d’un harcèlement à l’encontre de l’ensemble des collaborateurs du salarié de tous les entendre dans le cadre de son enquête.
La Cour de cassation censure le raisonnement. Elle considère que la seule circonstance qu’une partie ait produit au débat des éléments partiels et non exhaustifs ne suffit pas à les écarter.
Solution rassurante pour les employeurs, l’enquête constituant souvent la principale preuve du harcèlement.
Discrimination : licencier un salarié peu de temps après que celui-ci ait signalé un burn out laisse supposer une discrimination en raison de l’état de santé (Cass., Soc., 5 février 2020, n°18-22.399)
Un salarié totalisant 25 ans d’ancienneté est placé en arrêt de travail quelques jours avant de prendre ses congés payés. A son retour, il signale à ses managers avoir été arrêté pour burn out mais souhaiter continuer à occuper son poste. Huit jours plus tard, une procédure de licenciement est engagée à son encontre pour insuffisance professionnelle.
Le salarié conteste ce licenciement, qu’il juge mal fondé et discriminatoire.
La Cour d’appel lui donne partiellement gain de cause, en déclarant le licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que l’insuffisance professionnelle n’est pas établie. En revanche, elle le déboute de ses demandes au titre de la discrimination, estimant qu’un seul arrêt de travail de courte durée suivi d’une reprise du travail ne laisse pas présumer l’existence d’une discrimination fondée sur l’état de santé.
La décision est cassée. Pour la Cour de cassation, les faits doivent être analysés dans leur ensemble : en constatant l’absence de cause réelle et sérieuse de la rupture et que le salarié avait informé son employeur très peu de temps avant l’engagement de la procédure de licenciement de difficultés quant à son état de santé, les juges auraient dû conclure que l’ex-salarié présentait des éléments de fait laissant supposer l’existence d'une discrimination (pour mémoire le régime probatoire est allégé en matière de discrimination : le salarié n’a pas à prouver la discrimination ; il lui suffit de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination, à charge pour l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination).
Cela ne signifie pas que tout licenciement soit impossible dès lors qu’un salarié a invoqué une difficulté concernant son état de santé mais la prudence est de mise et il est essentiel que le licenciement repose sur des éléments objectifs étrangers à l’état de santé.
Harcèlement sexuel : la relaxe au pénal ne fait pas obstacle à la nullité du licenciement (Cass., Soc., 25 mars 2020, n°18-23.682)
Après avoir été licenciée pour faute grave, une salariée porte plainte devant le juge correctionnel contre son ancien employeur pour harcèlement sexuel et saisit le juge prud’homal d’une action en nullité de son licenciement pour le même motif.
L’employeur est relaxé au pénal, aucun élément intentionnel n’étant caractérisé. Le juge prud’homal prononce cependant la nullité du licenciement pour harcèlement sexuel.
L’employeur conteste sa condamnation. Il s’appuie notamment sur la règle de l’autorité de la chose jugée au pénal, selon laquelle la décision du juge correctionnel, une fois devenue définitive, s’impose au juge civil.
La Cour de cassation ne l’entend pas ainsi et confirme l’arrêt d’appel. Elle juge que l’autorité de la chose jugée doit être écartée car la relaxe n’est pas motivée par l’absence de faits, sur lesquels le juge pénal ne s’est pas prononcé, mais seulement sur le défaut de preuve d’une intention délictuelle. Or l’intention est indifférente en droit du travail, la démonstration des seuls faits étant suffisante à caractériser un harcèlement sexuel. La caractérisation civile du harcèlement sexuel était donc possible malgré la relaxe du tribunal correctionnel.
Arrêt maladie : la pratique d’une activité non-autorisée pendant un arrêt maladie peut entraîner la suspension du versement des indemnités journalières de la sécurité sociale (Cass., 2 civ., 28 mai 2020, n°19-15.520)
Un salarié en arrêt de travail en raison d’un état dépressif sérieux continue de participer à des courses sportives, notamment des semi-marathons. La caisse primaire d’assurance maladie l’apprend et décide de suspendre le versement des indemnités journalières et d’en demander au salarié le remboursement, en raison de l’exercice d’une activité non autorisée.
Le salarié conteste cette mesure, arguant de ce que l’activité pratiquée ne lui a pas été interdite et que son médecin l’a même invité à poursuivre la course à pied. Pour étayer cette affirmation, il s’appuie sur une attestation de son médecin rédigée a posteriori.
Le tribunal des affaires de sécurité sociale fait droit au recours du salarié.
A tort selon la Cour de cassation, qui rappelle que les activités pratiquées pendant les arrêts maladie doivent être autorisées préalablement par le médecin traitant, une autorisation a posteriori ne permettant pas de remplir ces conditions.
Harcèlement moral : le bore out peut caractériser du harcèlement moral (CA Paris, 2 juin 2020, RG n°18/05421)
Un salarié en état de dépression est placé en arrêt de travail pendant 6 mois puis licencié pour absence prolongée désorganisant l’entreprise et nécessitant son remplacement définitif.
Il conteste son licenciement. A l’appui de son recours, l’intéressé reproche à son employeur d’être responsable de la dégradation de ses conditions de travail et, consécutivement, de celle de son état de santé. Il soutient plus précisément avoir été la victime d’agissements de harcèlement moral, caractérisés notamment par une pratique de mise à l’écart, l’absence de réelles tâches ou l’affectation à des tâches subalternes qui l’ont conduit à souffrir de bore out « faute de tâches à accomplir ».
La Cour d’appel lui donne raison. Estimant que le manque d’activité et l’ennui du salarié sont prouvés par les attestations et données médicales versées au débat, elle décide que l’état de bore out constitue une forme de harcèlement moral.