Hygiène, sécurité et conditions de travail / Sélection de jurisprudence – France / Second semestre 2021

 
January 11, 2022

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Cette newsletter revient sur cinq décisions notables en matière d’hygiène, sécurité et conditions de travail :

  • L’inertie de l’employeur face à la dénonciation d’un harcèlement compromet la conclusion d’une rupture conventionnelle avec la salariée concernée (Cass. soc., 4-11-2021, n° 20-16.550)

Une salariée signale à son employeur subir un harcèlement sexuel de la part de son supérieur hiérarchique. L’employeur ne prend aucune mesure pour remédier à la situation et conclue une rupture conventionnelle avec l’intéressée.

Après que cette rupture conventionnelle ait produit ses effets, la salariée saisit la juridiction prud’homale pour en demander l’annulation, arguant que son consentement a été vicié en raison du harcèlement sexuel qu’elle subissait.

Sa demande est accueillie par les juges du fond. L’employeur se pourvoit alors en cassation. Il se défend d’avoir exercé une pression sur la salariée pour la contraindre à signer la rupture conventionnelle et se réfère à la jurisprudence selon laquelle la préexistence d’un différend lié à la relation de travail n’est pas à elle-seule de nature à affecter la validité de la rupture.

La Cour de cassation confirme néanmoins l’approche des juges du fond. Selon la Cour, en s’abstenant de prendre des mesures de protection de la salariée à la suite de son signalement d’un harcèlement sexuel, l’employeur a exercé une forme de pression indirecte sur son consentement. La salariée s'est trouvée face à une situation insupportable, dont les effets ne pouvaient que s'aggraver, ce qui l’a contrainte à accepter la rupture conventionnelle.

A retenir : L’employeur est tenu d’agir face au signalement d’agissements de harcèlement. Son inertie est nécessairement fautive et ne peut que compromettre sa situation, en l’occurrence ici sa faculté de se prévaloir du consentement libre et éclairé de la salariée à la rupture conventionnelle de son contrat de travail.

• La preuve de la prise des congés payés incombe au seul employeur (Cass. soc., 29-9-2021, n° 19-19.223)

Après la liquidation judiciaire de la société qui l’employait, un salarié conteste avoir pris des congés payés sur une période donnée et prétend à une indemnité compensatrice de congés payés.

Les juges du fond rejettent sa demande, au motif qu’il ne rapporterait pas la preuve qu’il n’était pas en congés pendant la période litigieuse. Le salarié se pourvoit alors en cassation, faisant valoir que la charge de la preuve de la prise de ses congés incombait à son employeur.

La Cour de cassation lui donne raison. Elle affirme que c’est à l’employeur de mettre le salarié en mesure d’exercer son droit à congé et, en cas de contestation, d’en justifier. En faisant peser sur le salarié l’obligation de rapporter la preuve qu’il n’était pas en congé, la cour d’appel a donc inversé à tort la charge de la preuve.

A retenir : On ne rappellera jamais assez l’importance pour l’employeur d’effectuer un décompte précis et régulier des temps de travail et de repos, et de s’en ménager la preuve formelle. S’agissant de la prise des congés payés, cela peut passer par la mise en place d’une procédure de demande et de validation écrite au service RH, de relevés auto-déclaratifs sous le contrôle mensuel du manager, etc.

• Laisser durablement un salarié inapte sans activité justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur, même lorsque la rémunération est maintenue (Cass. soc., 4-11-2021 n° 19-18.908)

Après plusieurs mois d’arrêt de travail, un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail. Son employeur lui soumet alors plusieurs propositions de reclassement, que l’intéressé refuse. L'employeur n’en tire pas de conséquence et poursuit de façon durable le versement de la rémunération du salarié, sans pour autant lui fournir de travail.

Saisis par le salarié d’une demande de résiliation judiciaire, les juges du fond mettent fin au contrat de travail aux torts de l’employeur. Ils estiment que l’employeur a abusivement suspendu le contrat de travail en maintenant délibérément le salarié dans une situation d'inactivité forcée, ce manquement étant suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire du contrat à ses torts exclusifs. L’employeur se pourvoit en cassation, avançant qu’il n'était pas tenu de rompre le contrat de travail du salarié déclaré inapte ayant refusé ses offres de reclassement.

Sans succès cependant. La Cour de cassation considère qu'en cas de refus de reclassement par le salarié déclaré inapte, il appartient à l'employeur de formuler de nouvelles propositions de reclassement ou de procéder au licenciement de l'intéressé.

A retenir : outre la question des suites à réserver à la déclaration d’inaptitude, cet arrêt a notamment le mérite de rappeler aux employeurs que s’il peut parfois leur sembler plus favorable de maintenir la rémunération de salariés sans leur confier d’activité, ceci est contraire à la conception française des relations de travail, selon laquelle le salaire est la contrepartie d’un travail fournit par l’employeur.

• La qualité de cadre dirigeant au sens du temps de travail s’apprécie in concreto (Cass. soc., 4-11-2021, n° 20-18.813)

Un salarié est engagé en qualité de directeur de fabrication, avec pour mission de diriger un site de son entreprise. Licencié par son employeur, il forme notamment des demandes de rappel d'heures supplémentaires et de congés payés afférents.

Les premiers juges le déboutent de ses demandes, au motif qu’il serait cadre dirigeant, lesquels ne peuvent pas prétendre au bénéfice de la réglementation relative à la durée du temps de travail et, notamment, au bénéfice des dispositions légales, réglementaires et conventionnelles relatives à la durée maximale du travail, aux heures supplémentaires, au repos quotidien et hebdomadaire, aux jours fériés ou à de quelconque jours de repos liés aux conditions d’aménagement de leur temps de travail. L’intéressé conteste cette qualification et se pourvoit en cassation.

A tort. La Cour de cassation rappelle que sont considérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement. Ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise. Selon la Cour de cassation, la caractérisation de ces critères relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Or, en l’occurrence, la Cour d’appel a constaté que le salarié disposait d’une très large autonomie dans ses décisions de commandes de produits et de fabrication, sans aucune intervention du président de la société sur ce point, qu'il exerçait un pouvoir disciplinaire sur les salariés de son site en qualité de directeur, qu'il percevait par ailleurs le salaire le plus élevé du site, qu'il était libre de l'organisation de son emploi du temps, et qu'enfin il était le seul dirigeant du site en lien direct avec le président, qui gérait par ailleurs d'autres sociétés et ne se rendait sur le site que de manière épisodique.

La participation du salarié à la direction de l'entreprise avait donc bien été caractérisée par les juges d’appel, si bien que le salarié ne pouvait échapper à la qualité de cadre dirigeant.

A retenir : la satisfaction des critères pour qualifier un salarié de cadre dirigeant requiert une approche concrète, au cas par cas, et n’est pas l’apanage du seul dirigeant de l’entreprise.

• Le recours systématique à des heures supplémentaires constitue une modification du contrat de travail (Cass. soc., 8-9-2021, n° 19-16.908)

Un salarié est licencié pour faute grave après avoir refusé à plusieurs reprises d’accomplir des heures supplémentaires. Il conteste ce licenciement en invoquant que le recours systématique de son employeur à des heures supplémentaires avait eu pour effet de modifier sa durée hebdomadaire de travail, sans pour autant que son accord préalable n’ait été recueilli.

Les juges du fond accueillent favorablement ses prétentions. L’employeur se pourvoit alors en cassation, en faisant valoir que les heures supplémentaires relèvent de l'exécution normale du contrat, de son pouvoir de direction et qu’y avoir recours dans la limite du contingent légal et en raison des nécessités de l'entreprise ne constitue pas une modification du contrat, quand bien même ce recours serait habituel.

La Cour de cassation approuve cependant le raisonnement des juges d’appel. Le recours systématique à des heures supplémentaires, qui portait la durée hebdomadaire du travail du salarié de 35 heures à 39 heures, avait eu pour conséquence de modifier son contrat de travail sans son accord exprès. Dès lors, le refus de cette modification n’était pas fautif et ne constituait pas une cause réelle et sérieuse de licenciement.

A retenir : si le recours habituel à des heures supplémentaires est prévisible, l’employeur peut recourir à une convention de forfait en heures pour éviter l’écueil que constitue une telle décision.

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