Sélection de jurisprudence - France / Second semestre 2021
Pour accéder à la version anglaise, cliquez ici :
Cette newsletter présente quatre décisions de jurisprudence rendues au cours des derniers mois :
- Le paiement d'une prime d'objectifs ne peut pas être subordonné à une date de présence à l'effectif (Cass. soc., 29-9-2021, n° 13-25.549)
Le contrat de travail d’une salariée subordonnait le paiement des primes d’objectifs commerciaux à sa présence dans l'entreprise le 31 décembre de l'année considérée. Licenciée en cours d’année, son employeur refuse de lui verser les primes. La salariée saisit la juridiction prud’homale pour réclamer le bénéfice de la prime pour les objectifs commerciaux d'ores et déjà atteints avant son départ de l’entreprise
Sa demande est rejetée par les juges d’appel qui font une application stricte de la clause contractuelle : la salariée ayant quitté l’entreprise avant le 31 décembre 2010, l’employeur n’était pas dans l’obligation de lui verser la prime au titre de l’année 2010.
La salariée se pourvoit alors en cassation.
La chambre sociale de la Cour de cassation lui donne raison. Elle rappelle qu’un élément de rémunération afférent à une période travaillée peut être soumise à une condition de présence. Cependant, elle précise que la date à laquelle la présence est requise ne peut pas être postérieure à la date à laquelle les conditions d’exigibilité des sommes sont appréciées. Dès lors, la Cour juge que les primes d’objectifs sont versées en contrepartie de l’activité et qu’elles sont par conséquent acquises au prorata du temps de présence du salarié dans l’entreprise au cours de l’exercice. Ainsi, leur versement ne peut pas être subordonné à une date de présence dans l’entreprise postérieure à la date de départ de la salariée.
- La clause de rémunération variable qui se borne à préciser qu’elle s’entend « congés-payés inclus » n’est pas opposable au salarié (Cass. soc., 13-10-21, n° 19-19.407)
Le contrat de travail d’un salarié précisait que de la part variable de sa rémunération annuelle s'entendait « congés-payés inclus ». A la suite de son licenciement, le salarié saisit la juridiction prud’homale et en profite pour demander un rappel de salaire au titre des congés-payés sur les commissions annuelles.
La cour d'appel accueille sa demande. Les juges estiment que la clause de rémunération du contrat de travail n'est ni transparente ni compréhensible, et ne peut donc être opposée au salarié, dans la mesure où elle se borne à mentionner que la rémunération variable s'entend « congés-payés inclus », sans préciser la part relative aux congés-payés.
La Cour de cassation approuve le raisonnement des juges d’appel. S’il est possible d'inclure l'indemnité de congés payés dans la rémunération forfaitaire lorsque des conditions particulières le justifient, cette inclusion contractuelle doit être transparente et compréhensible. La mention « congés payés inclus » sans préciser la répartition entre la rémunération et les congés payés et que l’imputation de ces sommes se fera sur un congé déterminé et effectivement pris, ne répond pas à cette exigence. Elle n’est donc pas opposable au salarié. L’employeur doit verser à son salarié un rappel de salaire au titre des congés payés sur les périodes concernées.
- Le contrat de travail à temps partiel doit fixer les jours et horaires de travail (Cass. soc, 17-11-2021, n° 20-10.734)
Le contrat de travail d’un salarié prévoyait un horaire mensuel de 86,67 heures et des plages horaires, mais laissait au salarié le soin de choisir entre le matin et l’après-midi. À la suite de son licenciement, celui-ci saisit la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de son contrat à temps partiel en un contrat à temps plein.
La cour d'appel rejette la demande de requalification du salarié, approuvant l’employeur qui arguait que la répartition du temps de travail était induite par l'horaire mensuel et par l'organisation de la société. Pour l’employeur, on ne pouvait lui reprocher d'avoir laissé au salarié la liberté d’adapter son organisation de travail en plages horaires de matin ou après-midi.
Le salarié se pourvoit en cassation, avançant que, sans précision écrite sur la répartition de la durée du travail, le travail est présumé être à temps complet.
La Cour de cassation approuve le raisonnement du salarié. Elle précise que, sauf exceptions prévues par la loi, l'employeur ne peut déroger à l'obligation de mentionner dans le contrat de travail à temps partiel la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois. Le contrat de travail considéré ne répondait pas à ces exigences. Il était donc à temps complet.
- Télétravail : le salarié peut avoir le droit de refuser de revenir en présentiel
Deux arrêts apportent des précisions utiles sur le télétravail à une époque où il se généralise.
Ces arrêts rappellent que lorsque le télétravail est mis en place par un accord collectif ou une charte qui ne précise rien sur la réversibilité du télétravail, il faut un accord écrit sur le sujet entre l’employeur et le salarié. A défaut, l’employeur ne peut imposer au salarié un retour en présentiel.
(CA Lyon, 10-9-2021, n° 18/08845)
A la suite de la naissance d’un enfant, une salariée et son employeur ont convenu ensemble du passage au télétravail dans un avenant au contrat de travail. Deux ans plus tard, l’employeur lui demande de reprendre son activité au sein des locaux de l’entreprise. La salariée refuse. L’employeur la licencie.
La salariée conteste son licenciement. Elle obtient satisfaction en première instance. L’employeur fait appel, se prévalant de la mention dans l'avenant du caractère exceptionnel du recours au télétravail dans son entreprise et du fait que le télétravail a été accordé à la salariée à sa demande.
La cour d’appel confirme cependant le jugement de première instance sur ce point. En l’absence de précision dans le contrat de travail sur les conditions d'exercice du télétravail, notamment sur sa durée et les modalités selon lesquelles il peut y être mis fin, l'employeur ne peut modifier cette organisation qu’avec l'accord de la salariée. Le terme 'exceptionnel' mentionné dans l'avenant ne signifie pas, selon les juges d’appel, que les parties ont souhaité conférer à cette modalité un caractère provisoire mais seulement que l'employeur a accepté 'de façon exceptionnelle' et contrairement à la pratique de l'entreprise, que la salariée exerce son activité en télétravail. Dès lors, le licenciement de la salariée au seul motif qu’elle a refusé de revenir en présentiel est sans cause réelle et sérieuse.
(CA Orléans, 7-12-2021, n° 19/01258)
Alors qu’il exerce son activité en télétravail depuis de nombreuses années, un salarié se voit imposer par son employeur de revenir dans les locaux de l’entreprise deux jours par semaine
Le salarié saisit la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail. L’employeur fait valoir qu’aucun télétravail n’a formellement été mis en place et les juges de première instance lui donne raison.
La cour d’appel infirme le jugement de première instance. Elle constate, d’une part, qu’aucun lieu de travail n’est inscrit au contrat, et, d’autre part, que pendant de nombreuses années et de manière constante, le salarié a exécuté sa prestation de travail à distance en ne se rendant qu’épisodiquement au siège. Pour les juges, l’employeur n’a jamais contesté cette organisation, ce qui révèle son acceptation de ce mode d'organisation du travail. La Cour considère qu’en revenant sur un télétravail non-contractualisé mais admis de longue date, l’employeur a modifié un élément essentiel du contrat de travail de nature à bouleverser non seulement l'organisation professionnelle du salarié mais également ses conditions de vie personnelle. L’employeur aurait dû obtenir son accord. La résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur s’en trouve justifiée.